«Je n'ai même pas tout dit, les vrais moments graves, je les ai gardés pour moi.» Maïwenn Le Besco, 25 ans. Sa mère voulait en faire une comédienne. Elle crache sur sa réussite dans un one-woman show.
Elle tuerait père et mère
Maïwenn le Besco en 6 dates

17 avril 1976
Naissance aux Lilas (Seine-Saint-Denis).

1983
«L'Eté meurtrier», de Jean Becker.

1991
«La Gamine», d'Hervé Palud.

1992
Mariage avec Luc Besson, naissance de leur fille Shana.
1997
«Le Cinquième Elément», de Luc Besson.

Mai 2001
Première de «One Maï Show».

Le 10/04/2002
Par Pascale NIVELLE

«Je n'ai même pas tout dit, les vrais moments graves, je les ai gardés pour moi.» ne grande fille à grande bouche se débrouille comme une grande au Café de la Gare, dans le spectacle autobiographique et comique qu'elle a écrit toute seule. Elle est Maïwenn. Pas Le Besco, comme sa soeur Isild, l'actrice, ni Besson comme son ex-mari. Maïwenn. Qui fait son One Maï Show (1), psychanalyse en direct, avec parents écorchés vifs et grande lessive publique. Elle fait «du mal» et le sait : «C'est pour sauver ma peau. Ils payent et c'est normal, avec tout ce que je me suis pris dans la gueule.» La vie, dit-elle, lui a fait «zéro cadeau». Corinne Blue, qui lui a donné des cours de théâtre, dit qu'elle est «un animal étrange, doté d'un instinct féroce».


Pour commencer, elle a toujours été trop belle. Yeux marine, teint porcelaine, cheveux noirs. Adjani d'il y a vingt ans, avec sourire de réclame et silhouette de casting. Puis, elle a ce caractère «infernal, incontrôlable» décrit par une amie d'enfance : «Elle est comme un pur-sang arabe, on ne peut pas la tenir.» L'humour en plus, la fille devient phénomène. Dans la cuisine de son appartement du Marais, elle mime ses vingt ans, sa période «Boule de suif», les vingt kilos de trop au retour de Los Angeles : «Pour sortir d'un fauteuil, je devais mettre mes deux mains sous les fesses et lever fort.» C'est drôle. Elle explique : «J'ai remarqué que tout ce qui est assumé fait rire.» Sur scène, c'est tout ce qu'elle veut : «Faire rire les gens avec des choses pas drôles.»

Elle venait de quitter Luc Besson, Hollywood, sa piscine et ses amis les stars, pour revenir à Paris avec sa fille de 5 ans. «C'est superficiel et con, LA, comme leurs films. J'étais juste la femme de Besson, j'en pouvais plus.» Souvenir : «Le pire que j'ai fait dans la luxure, c'est le Concorde avec un bébé de six mois et une nounou. C'était la première fois que j'allais à New York et je ne savais pas où c'était, vu mes notions géographiques.» Dans sa culture générale comme dans sa personnalité, il y a des trous, des nids de poule. «Ça fait rire la galerie, mais moi je pars vite en couilles, il me manque des trucs, des repères.» Chez une psy parisienne, spécialiste de la boulimie, Maïwenn a dit «maman» et tout a coulé. Larmes, colère, rage de ne pas être soi, il a fallu retricoter l'histoire.

Belleville, au début. Un trois pièces plein d'enfants, elle est l'aînée de cinq. Une mère, des pères. La bohème toujours, la misère souvent. Son père, guitariste mi-vietnamien mi-breton, gardien de nuit sur les parkings, a décidé en partant de ne plus parler que le breton. Maïwenn (Marie-Blanche) lui doit son prénom et de râler en breton. De sa mère kabyle et fille de harki, elle tient la recette de la chorba, et de ne jamais camper chez les vaincus. Catherine était actrice, ou plutôt voulait être une actrice. Comme Adjani, soeur d'Algérie. Elle aurait tout reporté sur son aînée. L'histoire est dans le show.

Maïwenn campe le père autiste, la mère hystérique, et l'enfant au milieu, bestiole de casting, baby doll de Belleville. «Je n'ai même pas tout dit, les vrais moments graves je les ai gardés pour moi», assure-t-elle. La mère qui fait l'amour et accouche devant ses enfants, qui part trois semaines sans donner de nouvelles, laissant la maison et la nichée à Maïwenn, ne seraient pas que littérature. Ni le père bretonnant, qui veut faire de sa grande perche une championne de saut en hauteur : «Je suis sa tête de Turc, je n'ai jamais vu dans ses yeux la moindre affection. Il me disait que je lui rappelais sa femme.» Myriam Bru, agent artistique, raconte : «Tout est vrai malheureusement. Sa mère n'avait pas fait de carrière et voulait à tout prix qu'elle soit actrice. A 3 ans, elle la traînait dans tous les castings. Après, Maïwenn y allait toute seule, un gosse dans chaque main, un autre dans le dos. C'était démentiel, extrêmement touchant, elle était leur maman. J'ai refusé d'être son agent. Je sentais trop le désir de la mère et pas assez celui de l'enfant.» Maïwenn débute à 3 ans, dans l'Année prochaine si tout va bien, de Jean-Louis Hubert. A cinq, elle apparaît au théâtre dans Hippolyte d'Antoine Vitez. A sept, elle est l'Adjani enfant de l'Eté meurtrier. A douze, elle danse tous les soirs aux Bains Douche, Lolita de sa mère. A quatorze, elle fugue, part «en couilles». Elle ne veut pas être une actrice, joue la Gamine avec Johnny en s'«en foutant». Elle est, dit-elle, «comme un enfant gaucher qu'on fait tout pour mettre droitier même si sa main droite fait des appels de phare». «Elle voulait, se souvient Myriam Bru, ouvrir un orphelinat pour les enfants malheureux.» L'école est finie depuis trois ans : «A onze ans, on a voulu me faire redoubler. Ma mère est devenue hystérique et m'a inscrite aux cours par correspondance. Je n'ai jamais fait un seul devoir.» D'où les jolis petits mots qu'elle invente et les gros qui se bousculent, dans l'ignorance de toute manière, bonne ou mauvaise.

Sur scène, Maïwenn-sa mère met un Tampax, prend son pied, vend sa fille aux agents de casting les plus louches. «Il paraît que c'est vulgaire», dit l'auteur. Elle dit comprendre un mot sur trois aux informations et ne pas savoir lire un journal : «Trop compliqué.» Mais elle baragouine en breton et en arabe, monte à cheval, s'y connaît en musique, toutes les musiques, de Madonna son idole à l'Africain Lokua Kanza : «Ça me bouleverse les émotions.» Elle danse tous les jours, un autre fantasme de sa mère qui l'avait présentée au concours de l'Opéra de Paris quand elle ne savait pas tenir sur des pointes. Le soir après le spectacle, elle fait la fête chez Castel, avec la bande de Beigbeder : «Pour danser et parler avec des gens que je ne reverrai jamais.» Elle ajoute : «J'adore. Avec Luc je ne sortais jamais. Quand on est maqué, on sort plus.»

Besson, elle l'a croisé avec Anne Parillaud dans les toilettes du Fouquet's, un soir de césars. Deux ans après, elle vivait avec lui à Los Angeles et leur fille Shana. Mère à seize ans, «une évidence» après Belleville : «J'ai toujours eu des couches dans mon sac. J'ai adoré l'accouchement, l'allaitement, c'est mon côté kabyle.» Un film en cinq ans, le Cinquième Elément, où elle jouait la Diva bleue. Ça ne lui a pas plu. «Etre femme de réalisateur, c'est quand même très con.» Puis retour à la case Paris. Kilos, psy, cours de théâtre, étincelle. Corinne Blue, un jour, lui demande de jouer sa mère : «Là, tout le monde est apparu d'un coup, père, mère, frères, soeurs. Cela a été une délivrance. Et ajoute : Presque aussitôt après, elle s'est mise à écrire.» Son territoire jalonné, Maïwenn existait, cessait d'être le fantasme de sa mère et la créature d'un homme. Elle a monté son spectacle toute seule, se brouillant avec ceux qui s'effrayaient d'une transposition aussi brutale, du règlement de comptes public, du probable voyeurisme : «Ils ont eu de la merde devant les yeux pendant quinze ans, je les emmerde.» One Maï Show fait le plein tous les soirs. Maïwenn est passée chez Drucker et Ardisson. Ses parents, qu'elle cache des regards médiatiques, sont venus voir leur double sur scène. La mère aurait trouvé le spectacle vulgaire et le père, trop long. Le show peut continuer.

photo PHILIPPE GROLLIER
(1) «Le Pois chiche, One Maï Show», au Café de la Gare à Paris jusqu'au 3 juillet 2002.
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